La Boulangère

 

 

 

 

 

Depuis des années, je voyais la boulangère à peu près trois ou quatre fois par semaine. Et je la trouvais toujours aussi jolie. De cette beauté narcissique et intense qui promet des délices violents et brutaux. Elle ne semblait pas commode pourtant et paraissait toujours sur la défensive, prête on aurait dit, à vous sauter au visage toutes griffes dehors au moindre affront supposé. Elle avait des cheveux noirs de geai, épais et courts, avec devant, des petites mèches rebelles dont elle prenait particulièrement soin. Son visage et son regard exprimaient un air décidé qui laissait présager des initiatives et des exigences délicieuses. Bien qu’elle fut presque toujours vêtue de son éternelle blouse blanche de boulangère, fort peu sexy et élégante, on imaginait bien qu’en privé, elle devait pouvoir arborer sans complexes, les tenues les plus classiques comme les plus excentriques, avec autant d’aisance pour les unes que pour les autres. J’ouvrais la porte du magasin et elle était là le plus souvent, ou bien, elle ne tardait pas à arriver par la porte communiquant avec son appartement.
- Bonjour Madame, la saluais-je alors d’un ton neutre.
- Bonjour Monsieur, me répondait-elle de la même façon.
- Je voudrais une baguette, s’il vous plaît, lui demandais-je toujours, appréciant à chaque fois au passage, toute l’ampleur de sa beauté froide un peu distante.
- Bien, me répondait-elle laconiquement d’une voix coupante comme un rasoir.
Puis, m’ayant servi, elle m’annonçait le prix sans y mettre jamais davantage d’elle-même. La scène se répétait des mois, puis des années durant. Je me disais parfois qu’elle allait deviner mes fantasmes et, comme par capillarité, découvrir des bribes d’images ou de scènes où je la pliais à mon gré dans des situations très peu ordinaires. Soupçonna-t-elle un jour ou l’autre mes désirs peu romantiques ? C’est peu probable car je me suis toujours appliqué à ne laisser transparaître de moi que ce que je voulais bien. A cette époque, la une d’un magasine à fort tirage titrait : « Les français et l’échangisme » Ils seraient de plus en plus nombreux à le pratiquer, continuait le sous-titre en petites lettres. Et sans vouloir l’échanger, car déjà, je ne la possédais tout simplement pas, mes fantasmes m’emportaient en des rêves où nous étions deux hommes avec elle pour la contenter. Pourquoi particulièrement avec elle ? Je ne sais pas. Sûrement m’imaginais-je qu’il nous fallait bien au moins être deux pour venir à bout de cette bombe sexuelle, glacée et perverse. Nous l’aurions fait fumer et alors, avec un copain sympathique, nous nous serions lancés à l’assaut de cette froide et belle salope. Et bien sûr, elle aurait porté sous son jean, une culotte ouverte, noire comme ses cheveux, et quand j’aurais commencé à l’embrasser, elle se serait laissée faire et mon copain aurait glissé sa main dans son soutien-gorge en dentelle qu’elle aurait pris soin d’assortir à sa culotte. Là, elle aurait commencé à perdre de sa superbe, submergée par ses sensations, sachant que dans pas très longtemps, elle se retrouverait forcément avec une bite enfoncée dans la chatte et l’autre dans la bouche, mouillant abondamment rien qu’en y pensant sans cesse. Et moi, de savoir qu’on allait la dompter me tendait comme un arc et me faisait frissonner. La belle boulangère, j’en connaissais presque le goût réel à force de l’imaginer, je sentais la texture de ses cheveux en travers de mes doigts à force de les regarder. Très vite, on l’aurait déshabillée pour ne pas perdre de temps. On lui aurait laissé sa lingerie érotique, bien sûr, et on serait vite passé aux choses sérieuses. Pendant qu’elle me sucerait à genoux, mon copain aurait commencé à l’enfiler puisque c’était ça qu’elle attendait et qu’elle voulait depuis le début. On serait resté un moment dans cette position puis j’aurais proposé qu’on inverse les rôles, qu’il vienne devant pendant que j’irais prendre sa place dans sa chatte. Je l’imaginais, sa petite chatte pas rasée, offerte dans cette culotte tellement indécente, mouillée et ouverte encore, palpitante de l’autre bite qui venait tout juste de la quitter à l’instant, et réclamant avec insistance qu’on vienne la prendre encore, qu’on la bourre avec fermeté pour combler les désirs de succion et d’étreinte de sa vulve excitée. Je me serais donc insinué entre les petites lèvres palpitantes de cette chatte quémandeuse, encore moulée de la précédente visite, chaude encore du membre qui venait de la fouiller. Et elle aurait haleté, ma jolie boulangère fière et ardente, sous la double caresse qu’elle méritait bien, soumise au plaisir qu’on lui aurait imposé. Sa bouche aurait adoré envelopper ce va-et-vient qui écartait ses lèvres en un baiser écarlate, intime et profond pendant qu’elle se faisait limer à l’arrière. Et elle se serait sentie encore plus salope, et nous en aurions convenu tout autant qu’elle-même, d’être ainsi honorée doublement comme une insatiable dévergondée. Peut-être aurais-je même eu la queue légèrement enduite du sperme échappé involontairement de notre partenaire commun, comme la signature évidente de sa dépravation. Là, souvent, mon fantasme se liquéfiait dans le vagin élastique et imaginaire de ma belle provocatrice fine et insolente.
Parfois, j’étais presque un peu gêné de la regarder ensuite, pensant à toutes les turpitudes dans lesquelles je l’avais faite plonger, quelques fois, seulement quelques minutes auparavant.
Elle m’accueillait, toujours de sa voix impersonnelle :
- Bonjour Monsieur.
- Bonjour Madame.
Et je me disais : « Comment ne peut-elle pas savoir tout ce que j’ai rêvé tellement fort ? »
- Une baguette, s’il vous plaît.
- Soixante quinze centimes, s’iiiil VOUS plaiiiiit ! annonçait-elle comme en chantonnant sur la formule de politesse, en montant au début, puis en redescendant brutalement dans les graves sur le dernier mot, de cette façon si particulière et que je n’avais jamais entendue avant, qui faisait qu’elle était reconnaissable entre mille, et que quiconque la connaîtrait et lirait ces lignes, déclarerait aussitôt, oui, je sais qui c’est, celle-là, je la connais moi aussi.
Son mari, une espèce de brute obtuse, jetait parfois un coup d’œil par la porte du fournil et me lançait comme à regret, un bonjour obligatoire et bougon avant de s’en retourner dans son antre secrète. Je jetais mes pièces sur le comptoir et, prenant ma baguette tandis qu’elle vérifiait l’appoint, je lançais à ma ravissante boulangère un merci et un au revoir que j’essayais aussi banals que possible en tournant les talons. Pourquoi m’inspirait-elle autant de désirs si débridés ? Je n’ai toujours pas compris. Jamais pourtant, je n’aurais voulu d’elle, ni comme femme, ni comme compagne, ni comme amie. Rien. Rien ne m’intéressait d’autre en elle que sa capacité à jouer le rôle de pur et bel objet sexuel. Je n’aurais pas désiré établir avec elle, la moindre relation autre que charnelle et voluptueuse. J’aurais pu rester étendu sous elle, à la lécher des heures durant sans me lasser ni rechigner, mais la tenir affectueusement contre moi, m’était inconcevable. Mis à part la baiser, je n’aurais rien voulu faire d’autre avec elle. Rien. Tant elle me paraissait irrémédiablement dure, coupante et démunie de la moindre chaleur. Je n’aurais pu chérir, même un peu, une femme si dépourvue de tendresse. Jamais. Mais encore aujourd’hui, à chaque fois que je lâche mes pièces dans sa petite coupelle en verre qui tinte, je rêve de lui laisser un billet lui donnant rendez-vous, chez moi, accompagnée ou non, un jour qui lui plaira…

Antoine Rouvière

 

 

 

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