Ca y était, elle
s’était enfin décidée à le virer… Depuis le temps… Paul calculait. Ca
devait faire plus d’une vingtaine d’années… Ouais. Au moins une
vingtaine d’années. Depuis que ça lui était arrivé ce genre de choses,
il voyait ça partout. A croire qu’il avait donné l’exemple et que ça
s’était répandu ce genre d’histoires, comme une espèce de contagion. Ca
faisait plus de six mois, maintenant, que Cathy avait vraiment viré le
père de son fils, et pas repris. Cette fois-ci, ce devait être pour de
bon, et non pas des paroles en l’air comme on peut dire parfois. Quand
Paul avait pris de ses nouvelles, elle lui avait dit qu’elle maintenait
des liens pour leur fils, que sa porte n’était pas totalement fermée et
qu’elle la laissait ouverte pour les anniversaires, pour Noël ou des
circonstances exceptionnelles dans l’intérêt de leur fils qui allait
maintenant, quand même, sur ses quinze ans. Ca n’était pas la première
fois qu’il entendait ce genre de discours, non. C’était même une
pratique plutôt courante. Paul n’y trouvait rien à redire, à priori,
quand il s’agissait des autres… Mais il pensait que la justification
qui consistait à affirmer que c’était pour le bien des enfants, ne
tenait pas vraiment debout. C’était dans l’air du temps, c’était
certain. On voyait ça partout dans les feuilletons télévisés ou à la
pub : « - Tu veux un café ? proposait l’homme, d’un ton chaleureux,
mais grave.
- Oui, je veux bien, répondait la femme, un peu énigmatique et
séduisante, comme succombant à une tentation. »
Et l’ex entrait partager une tasse d’un petit noir bien serré. Pour
mieux repartir après se faire sauter par un autre… Mais on maintenait
de bonnes relations. On était moderne, on n’était pas ringard ou vieux
jeu. On n’était pas borné, mesquin ou rancunier. On avait l’âme élevée,
on était au-dessus de ça… Et cela, quelque soit ce qui s’était passé
avant… Et c’était là le hic. Ce qui s’était passé avant, n’était pas
toujours, loin s’en fallait, joli, joli… Et ce qui se poursuivait après
ne le lui apparaissait pas non plus forcément. Cet espèce de faux lien,
souvent perverti, pourri sur pied, n’était pas souvent, lui
semblait-il, une bonne chose. Car à quoi servait-il de maintenir des
relations avec quelqu’un qui s’était conduit comme un moins que rien ?
Paul se souvenait de son ex qui, lorsqu’il venait chercher leurs
enfants, faisait exprès de foncer sous son nez, retrouver son amant qui
l’attendait dans la voiture, au pied de l’immeuble, pour tenter de le
rendre jaloux. Comme s’il était encore besoin d’en rajouter… Alors, que
faire après des coups pareils, sans même parler du reste ? Maintenir de
« bonnes relations » à tout prix ? Ouais, ça le faisait doucement
rigoler… Des histoires comme ça, il en avait plein qui lui venaient en
mémoire. Il pensait que de toute façon, ce genre de manière de s’y
prendre ne rimait souvent à rien et finissait tôt ou tard, droit dans
le mur. Il venait d’en avoir encore la confirmation par l’exemple de
l’ex femme de l’amant, de son ex à lui. Un peu compliqué à comprendre à
la première lecture, mais en fait, très simple quand on allait
lentement ! Donc, depuis un paquet d’années, ces deux ex là se
conduisaient tout bien comme l’expliquaient les psys de la presse
féminine. Elle venait chez lui, il venait chez elle. Il pouvait même
rester un moment partager le gâteau d’anniversaire du gamin, comme dans
une vraie famille unie. Tout cela était fort bien et Paul les
félicitait intérieurement… Seulement voilà, le jour où, après moult
années « d’indépendance », les deux amants prirent la résolution
d’habiter ensemble, toute la belle construction théorique s’écroula
comme un château de cartes. Bien sûr ! Car la première femme légitime
ne se vit quand même pas, bien que large d’esprit, touillant le thé ou
prenant l’apéro en causant tranquillement, comme si de rien n’était, en
la compagnie de sa rivale qui l’avait évincée. Celle-ci ne devait pas
non plus, d’ailleurs, être très empressée de tisser des liens de bonne
camaraderie avec la reléguée que, forcément, elle devait déconsidérer.
N’acceptant pas d’être la seule chez qui l’on se rendait, par un désir
d’équité minimum, l’ex se résolut donc à fermer complètement sa porte à
son ancien mari. Et voilà comment se terminait « bêtement » des années
d’efforts et de « bonne volonté…» Elle aurait pu continuer à être la
seule à recevoir, après tout, Paul en avait vu d’autres… Mais là non,
elle ne voulait pas aller jusque là…
Par exemple, Paul connaissait l’histoire d’un type, à la grosse
situation financière, qui, depuis des années, se partageait entre le
domicile de sa maîtresse et celui de son ex femme à qui il rendait
visite de façon très intime, un week-end sur deux et la moitié des
vacances. Son ex femme acceptait cela car, expliquait-elle,
financièrement, il la mettait à l’abri du besoin. De plus, elle se
faisait baiser régulièrement, ce qui n’était pas pour lui déplaire, ne
s’en cachait-t-elle pas. Elle s’accommodait de l’autre et faisait aller
les choses comme ça, tant que faire se pouvait. Elle avait deux grands
enfants de cet homme. Il en fit aussi un à sa maîtresse qui n’ignorait
rien et acceptait la situation, de son côté. Celle-ci le quitta tout à
fait, pourtant, au bout de dix ans, on ne sait pourquoi. Eh bien, il ne
revint pas du tout avec sa première femme. Dépité, furibond, mais
toujours conquérant, il se trouva une seconde maîtresse qui remplaça la
première, et qui elle aussi, accepta, comme la première, ses allées et
venues chez sa femme légitime.
Paul voyait de ces trucs… Avec l’humanité, tout était possible. Et ce
qui était biscornu ou scabreux n’était pas rare…
Donc, Cathy avait viré Mathieu. Quel gâchis, quel temps perdu pour elle
! se disait Paul. Ca faisait au moins quinze ans qu’elle aurait déjà dû
faire ça. Mais enfin, souvent, on mettait bien du temps à voir clair…
Qu’est-ce qu’il avait encore comme histoire du même acabit ? Ah oui !
Un type entretenait une liaison. Alors sa femme, n’en pouvant plus,
finit par prendre le téléphone et appela la maîtresse pour la sommer de
rompre avec son mari en lui expliquant qu’elle avait un foyer, de
jeunes enfants et qu’elle était en train de tout foutre en l’air.
Inexplicablement, la maîtresse lâcha prise dans la semaine.
Absolument tous les cas de figure étaient envisageables. Une façon de
procéder pouvait fonctionner dans un cas et pas dans un autre, pourtant
à priori identique. Car si, en gros, les situations se ressemblaient,
il existait pourtant de multiples différences en y regardant de plus
près. Il y avait aussi l’histoire du bon père de famille qui, parvenu
presque à la retraite, renouait avec une ancienne maîtresse demeurée,
par le passé, toujours secrète. Cette fois-ci, pas de possibilité de
faire traîner les choses car sa femme s’en aperçut tout de suite. « -
Mais je vous aime toutes les deux ! », lui avoua-t-il, essayant de
l’amadouer dans une tentative d’explication. – Moi, je veux pas de
ménage à trois ! Alors tu choisis ! C’est elle ou moi ! », lui
lança-t-elle juste après avoir découvert le pot aux roses. « - Alors
c’est elle ! » trancha-t-il aussitôt, sans avoir jamais réfléchi une
seconde à son choix. Une heure plus tard, il avait filé définitivement,
rompant tous les liens avec la totalité de sa famille, excepté ses
enfants, n’emportant pour tout bagage, que les clés de sa voiture et sa
caisse à outils… Etonnant…
C’était peut-être symbolique, réfléchit Paul. Après avoir brisé sa vie
entière, la seule chose pour lui, qui méritât encore d’être emportée,
était sa caisse à outils… Peut-être pour reconstruire… en déduisit-il.
Des histoires comme ça, Paul en connaissait des kyrielles. Une fois,
alors que dans le rôle de l’amant, c’était lui, la femme n’avait même
pas eut le bon goût de dissimuler le cadre sur la table de chevet, dans
lequel, elle et son mari, posaient en photo, tout sourire. Il l’avait
baisée sous les yeux de son mari, un peu comme avec sa bénédiction en
quelques sortes. Il lui avait fait coucou intérieurement, et il l’avait
remercié… à contre cœur. Car ça l’avait gêné en réalité. Et il s’était
dit que vraiment, le rôle de salaud lui convenait pas du tout. Même
s’il n’avait pas vraiment intrigué pour se retrouver dans son lit, il
aimait pas trop faire ce genre de sale coup. Surtout que, son mari,
encore une fois, hélas, avait tout l’air d’un brave type…
Dans le genre couple en bout de course, sa nouvelle voisine en était
encore un bon exemple. Elle avait rappliqué avec ses deux mouflets sous
le bras et s’était installée à côté. C’était les deux seuls
appartements mitoyens d’un immeuble minuscule. Une fin de journée qu’il
rentrait, Paul trouva la porte de son appartement à elle, ouverte, avec
les clés dessus. Ca l’intrigua car tout semblait silencieux. Il s’était
demandé qu’est-ce que pouvait bien faire cette porte à moitié ouverte,
à moitié fermée, à l’étage, et sans personne nulle part alentours. Il
avait écouté en tendant l’oreille sur le palier. Mais non, rien. Et
puis il était rentré chez lui. Sa voisine était une jeune femme très
jolie, au charme accrocheur un peu vulgaire. Elle était pas mal, ouais.
Et il aurait pas dit non si elle l’avait invité. Et justement, cette
porte ouverte était inespérée pour en savoir un peu plus sur elle. Il
ne voyait pas du tout la raison qui aurait pu lui faire laisser sa
porte entrebâillée. Il espéra qu’il ne lui était rien arrivé de grave…
Il imagina une scène de crime, elle au milieu, baignant dans son sang.
Valait mieux pas qu’il traîne dans les parages en semant plein
d’indices qui mèneraient directement jusqu’à lui. Il repassa
mentalement son image dans sa tête. C’était le genre de fille vraiment
craquante, l’occase sur laquelle personne ne cracherait pour un échange
épidermique. Il avait laissé la porte d’entrée de son propre
appartement ouverte et il guettait les bruits qui auraient pu venir d’à
côté ou de l’escalier. Mais absolument rien ne bougeait. L’immeuble
était totalement silencieux et à part lui, désert. Il se disait qu’il
irait bien visiter, en toute discrétion, l’appartement de cette fille
souple et fine, à la dégaine un peu racaille. Ca lui aurait plu de se
faire une petite balade, en toute tranquillité, comme l’homme
invisible. Il aurait presque rien touché. Il aurait fait bien gaffe de
rien déranger pour pas laisser la moindre trace de son passage. Le
désir l’en tenaillait. Au moindre bruit venant d’en bas, il
retournerait illico presto chez lui sur la pointe des pieds, se dit-il.
Mais peut-être avait-elle fait exprès de laisser sa porte ouverte pour
lui tendre un piège et voir ce qu’il ferait… Peut-être même avait-elle
collé un cheveu pour constater l’effraction… Il pensa qu’on en savait
beaucoup sur quelqu’un quand on était entré chez lui. Il y avait une
multitude d’informations à récolter en pénétrant dans l’intimité d’un
intérieur… Et puis, forcément, il y avait un truc sur lequel il irait
droit assez vite. Ouais, il aurait bien aimé jeter un œil dans le
tiroir de sa commode où elle rangeait sa lingerie. Voir tous ces truc
avec lesquels elle se faisait baiser. Ca, ça devait en apprendre pas
mal sur quelqu’un… Mignonne et soignée comme elle était, il n’y avait
peut-être pas même, assez d’un tiroir. Sa commode devait regorger de
sous-vêtements pas possibles et incroyables… Après, on devait plus la
voir de la même façon… Ca, c’était sûr. Et déjà, telle qu’on la
percevait, c’était dur d’imaginer autre chose qu’un paradis de délices
baroques et doucement violents. Paul alla écouter une fois encore dans
l’escalier, puis il se décida à sortir. Il se campa devant la porte de
sa voisine et frappa assez vigoureusement. Il appela : « Judith ? » Il
poussa la porte et entra. Il y avait des jouets qui traînaient par
terre. Ses gamins foutaient un merdier épouvantable. C’était meublé à
la va-vite. La fille s’était cassée vite fait, emportant deux trois
trucs en abandonnant son mari. Pour l’instant, ça collait assez bien
avec le personnage. C’était pas mal le bordel là-dedans. Pourtant, sur
elle, au niveau fringues, elle était nickel ! Tout dans la façade. Ca
l’étonnait pas. Paul avança et trouva sa chambre. Elle avait pas de
commode. Alors il ouvrit l’armoire et il trouva vite ce qu’il
cherchait. « Putain la salope, la saaloope, LA SAALOOPE…!!! » Qu’est-ce
qu’il devait être beau son petit cul là dedans. Elle possédait tous les
accessoires : les bas, les jarretelles, les soutifs, les strings, les
culottes transparentes, que des trucs savamment calculés et mis au
point pour faire bander à mort tous les mecs de la planète. Parée de
chacune de ces merveilles, sa voisine ne devait n’être plus qu’une
cible dédiée aux bites. Dire qu’il avait ça à côté de chez lui. « Aïe !
Aïe ! Aïe ! Mamamilla !!! » Dans une petite boîte, il trouva même des
bijoux intimes, sortes de boucles d’oreilles, mais qu’on clipait aux
grandes lèvres. Il se demanda ce qu’étaient ces petits bijoux de forme
oblongue, un peu évasés et surmontés d’un brillant fantaisie.
N’était-ce pas ce qu’on appelait un bouchon d’anus ? Ah, sûrement… Elle
devait s’enfiler ça et seul le brillant affleurait, ornant son joli
petit trou. Quand on était prêt, il fallait le retirer délicatement
pour prendre possession du lieu, ainsi bien préparé, en étant déjà
évasé. « Ah là là là là… !!! » Ca, c’était sûr, il ne pourrait plus la
regarder comme avant… A chaque fois qu’il allait la croiser dans
l’escalier, il l’imaginerait avec tout ça dessous. Il referma
l’armoire, pivota et repartit vers la sortie en évitant les jouets des
mouflets qui jonchaient le sol. Il jeta un dernier regard sur
l’appartement, sortit sur le palier et replaça la porte exactement avec
le même angle que celui qu’elle avait avant qu’il n’entre. Ensuite, il
rentra chez lui et alluma la télévision, encore étourdi. Comme on était
à la belle saison, il avait laissé sa fenêtre entrouverte. Un peu plus
tard, tandis qu’il regardait mollement l’écran en zappant à moitié, il
crut distinguer comme son nom qu’on appellerait depuis l’extérieur. «
Paul ! Paul ! » Il se leva et se pencha par la fenêtre. C’était elle. «
Excusez-moi de vous déranger, mais j’ai dû laisser mes clés sur ma
porte. Et je peux plus rentrer dans l’immeuble. Vous pourriez pas
descendre m’ouvrir ? »
« - Oui, bien sûr, je descends. » Paul se dirigea vers les escaliers et
vint lui ouvrir la porte extérieure. Elle était accompagnée de ses
gamins. « - On est allés manger au Mac Do et j’avais oublié la clé. Ca,
c’est tout moi ! Heureusement que vous étiez là ! » « - Ben oui… sinon,
je sais pas comment vous auriez fait ! » Il la laissa passer avec ses
mômes et la suivit dans l’escalier après avoir refermé la porte à clé.
Elle avait des jambes renversantes. Il l’entendit dire en haut : « - Et
en plus, j’avais laissé la porte grande ouverte ! » « - Oui, je me suis
demandé ce qu’il y avait, mais bon, puisque vous voilà… »
Celle-là, Paul aurait bien voulu se la faire… Il repensa à Cathy qui
venait de faire une des meilleures choses de sa vie en virant le gros
profiteur qui vivait à ses crochets depuis tant d’années et il se dit
que ce qui caractérisait le mieux la vie, c’était le mouvement…
Antoine
Rouvière